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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/140

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la moindre négligence qui trahirait non pas l’ennui, mais la faculté de s’ennuyer, il verrait se lever contre lui, comme un serpent irrité, l’esprit russe, le plus caustique des esprits.

La moquerie, cette impuissante consolation de l’opprimé, est ici le plaisir du paysan, comme le sarcasme est l’élégance du grand seigneur ; l’ironie et l’imitation sont les seuls talents naturels que j’aie reconnus aux Russes. L’étranger une fois en butte au venin de leur critique ne s’en relèverait pas ; il serait passé aux langues comme un déserteur aux baguettes ; avili, abattu, il finirait par tomber sous les pieds d’une tourbe d’ambitieux, les plus impitoyables, les plus bronzés qu’il y ait au monde. Les ambitieux prennent en tout temps plaisir à tuer un homme. Étouffons-le par précaution ; c’en est toujours un de moins : un homme est presque un rival, car il pourrait le devenir.

Ce n’est pas à la cour qu’il faut vivre pour conserver quelque illusion sur l’hospitalité orientale pratiquée parmi les Russes. Ici l’hospitalité est comme ces vieux refrains chantés par les peuples même après que la chanson n’a plus de sens pour ceux qui la répètent ; l’Empereur donne le ton de ce refrain, et les courtisans reprennent en chœur. Les courtisans russes me font l’effet de marionnettes dont les ficelles sont trop grosses.