Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/17

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Cette vie de la cour est si nouvelle pour moi qu’elle m’amuse : c’est un voyage dans l’ancien temps ; je me crois à Versailles et reculé d’un siècle. La politesse magnifique est ici le naturel ; vous voyez combien Pétersbourg est loin de notre pays actuel. Il y a du luxe à Paris, de la richesse, de l’élégance même ; mais il n’y a plus ni grandeur ni urbanité : depuis la première révolution nous habitons un pays conquis où les spoliateurs et les spoliés se sont abrités ensemble comme ils ont pu. Pour être poli, il faut avoir quelque chose à donner : la politesse est l’art de faire aux autres les honneurs des avantages qu’on possède : de son esprit, de ses richesses, de son rang, de son crédit et de tout autre moyen de plaisir : être poli, c’est savoir offrir et accepter avec grâce ; mais quand personne n’a rien d’assuré, personne ne peut rien donner. En France, aujourd’hui rien ne s’échange de gré à gré, tout s’arrache à l’intérêt, à l’ambition ou à la peur ; l’esprit n’a de valeur que d’après le parti qu’on en peut tirer, et la conversation même tombe à plat dès qu’un secret calcul ne l’anime pas.

La sécurité dans les conditions est la première base de l’urbanité dans les rapports de la société et la source des saillies de l’esprit dans la conversation.

À peine reposés du bal de la cour, nous avons eu hier une autre fête au palais Michel, chez la grande duchesse Hélène, belle-sœur de l’Empereur, femme