Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/19

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Rien n’est si rare que de se croire obligé d’être modeste pour les autres, c’est pourtant une nuance de sentiment que j’éprouvai en ce moment. Vous me direz que de toutes les modesties c’est celle qui coûte le moins à manifester. Égayez-vous là-dessus tant qu’il vous plaira, il n’en est pas moins vrai qu’il me semblait que j’aurais manqué de délicatesse en livrant trop crûment mes amis à une admiration dont mon amour-propre eût profité. À Paris, j’aurais dit tout net ce que je pensais ; à Pétersbourg, je craignais d’avoir l’air de me faire valoir moi-même sous prétexte de rendre justice aux autres. La grande-duchesse insista.

« Nous lisons, dit-elle, avec grand plaisir les livres de madame Gay, que vous en semble ?

— Il me semble, Madame, qu’on y retrouve la société d’autrefois peinte par une personne qui la comprend.

— Pourquoi madame de Girardin n’écrit-elle plus ?

— Madame de Girardin est poëte, Madame, et pour un poëte, se taire c’est travailler.

— J’espère que telle est la cause de son silence, car avec cet esprit d’observation et ce beau talent poétique il serait dommage qu’elle ne fît plus que des ouvrages éphémères[1]. »

  1. Cette conversation est reproduite mot à mot.