Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/216

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je le répète et je le répéterai peut-être encore : les Russes tiennent bien moins à être civilisés qu’à nous faire croire qu’ils le sont. Tant que cette maladie de la vanité publique leur rongera le cœur et leur faussera l’esprit, ils auront quelques grands seigneurs qui pourront jouer à l’élégance chez eux et chez nous, et ils resteront barbares au fond : mais malheureusement le sauvage a des armes à feu,

L’Empereur Nicolas justifie mon jugement ; il a pensé avant moi que le temps des apparences est passé pour la Russie, et que tout l’édifice de la civilisation est à refaire dans ce pays : il a repris la société en sous-œuvre ; Pierre, dit le Grand, la renverserait une seconde fois pour la rebâtir : Nicolas est plus habile. Il cache son but pour l’atteindre plus sûrement. Je me sens saisi de respect devant cet homme qui, de toute la force de sa volonté, lutte en secret contre l’œuvre du génie de Pierre le Grand ; tout en déifiant ce grand réformateur, il ramène à son naturel une nation fourvoyée durant plus d’un siècle dans les voies de l’imitation servile.

La pensée de l’Empereur actuel se manifeste jusque dans les rues de Pétersbourg : il ne s’amuse pas à bâtir à la hâte des colonnades de briques recrépies ; partout il remplace l’apparence par la réalité, par tout la pierre chasse le plâtre, et des édifices d’une architecture forte et massive font disparaître les pres-