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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/229

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struit qu’à l’hypocrisie et à la révolte. Si l’intérêt bien entendu n’est pas le fondement de la morale, il en est l’appui. S’il m’était permis de vous donner les détails authentiques que j’ai recueillis hier sur les événements de *** vous frémiriez en les écoutant.

— Il est malaisé de changer l’esprit d’un peuple ; ce n’est pas l’affaire d’un jour ni même celle d’un règne.

— Y travaille-t-on de bonne foi ?

— Je le crois, mais avec prudence.

— Ce que vous appelez prudence, je l’appelle fausseté ; vous ne connaissez pas l’Empereur.

— Reprochez-lui d’être inflexible, non pas d’être faux ; or, dans un prince, l’inflexibilité est souvent une vertu.

— Ceci pourrait se nier ; mais je ne veux pas m’écarter de mon thème : vous croyez le caractère de l’Empereur sincère ? rappelez-vous sa conduite à la mort de Pouschkin.

— Je ne connais pas les circonstances de ce fait. »

Tout en devisant de la sorte nous étions arrivés au champ de Mars, vaste plaine qui paraît déserte quoi qu’elle occupe le milieu de la ville ; mais elle est tellement étendue que les hommes s’y perdent : on les voit venir de loin et l’on peut y causer avec plus de sécurité que dans sa chambre. Mon cicerone continua :

« Pouschkin était, comme vous le savez, le plus grand poëte de la Russie.