Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/255

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berges élevées qui forment digues dans le marais : cette diversité de tons repose l’œil des teintes tourbeuses de la prairie, espèce de bas-fond où croissent plus de glaïeuls que d’herbes. De tels paysages n’ont rien de beau sans doute, néanmoins ils sont calmes, imposants, vagues, grands, et dans leur sérénité profonde ils ne manquent ni de majesté ni de poésie : c’est l’Orient sans soleil.

Un matin, Xenie était sortie en même temps que son père pour assister avec lui au dénombrement des bestiaux, opération qu’il faisait lui-même chaque jour. Les animaux rangés pittoresquement de distance en distance devant le château animaient le rivage et brillaient sur le gazon au lever du soleil, tandis que la cloche d’une chapelle voisine appelait à la prière du matin quelques femmes désœuvrées, grâce à leurs infirmités, et quelques vieillards caducs qui jouissaient du repos de l’âge avec résignation. La noblesse de ces fronts à cheveux blancs, les teintes encore rosées de ces figures à barbes d’argent, prouvent la salubrité de l’air et attestent la beauté de la race humaine sous cette zone glacée. Ce n’est pas aux jeunes visages qu’il faut demander si l’homme est beau dans un pays.

« Voyez, mon père, dit Xenie en traversant la digue qui réunit la presqu’île du château à la plaine,