Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/361

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petite barque sur le lac Ladoga, j’ai chaviré. Cela se voit tous les jours. L’ambassadeur de France ira-t-il me repêcher au fond de cet abîme ? On lui dira qu’on a fait de vaines recherches pour retrouver mon corps : la dignité de notre nation à couvert, il sera satisfait et moi perdu.

Quelle avait été l’offense de Kotzebue ? Il s’était fait craindre, parce qu’il publiait ses opinions et qu’on pensait qu’elles n’étaient pas toutes également favorables à l’ordre de choses établi en Russie. Or, qui m’assure que je n’ai pas encouru précisément le même reproche, ou, ce qui serait suffisant, le même soupçon ? C’est ce que je me disais en arpentant ma chambre, faute de pouvoir trouver le sommeil dans mon lit. N’ai-je pas aussi la manie de penser et d’écrire ? Si je donne ici le moindre ombrage, puis-je espérer qu’on aura plus d’égards pour moi qu’on n’en a eu pour tant d’autres plus puissants et plus en évidence ? J’ai beau répéter à tout le monde que je ne publierai rien sur ce pays, on croit d’autant moins sans doute à mes paroles que j’affecte plus d’admiration pour ce qu’on me montre ; on a beau se flatter, on ne peut penser que tout me plaise également. Les Russes se connaissent en mensonges prudents….. D’ailleurs je suis espionné : tout étranger l’est ; on sait donc que j’écris des lettres, que je les garde ; on sait aussi que je ne sors pas de la ville, ne fût-ce