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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/362

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que pour un jour, sans emporter avec moi ces mystérieux papiers dans un grand portefeuille ; on sera peut-être curieux de connaître ma pensée véritable. On me préparera un guet-apens dans quelque forêt ; on m’attaquera, on me pillera pour m’enlever mes lettres, et l’on me tuera pour me faire taire.

Telles sont les craintes qui m’obsédèrent toute la nuit d’avant-hier, et quoique j’aie visité hier sans accident la forteresse de Schlusselbourg, elles ne sont pas tellement déraisonnables que je m’en sente tout à fait à l’abri pour le reste de mon voyage. J’ai beau me répéter que la police russe, prudente, éclairée, bien informée, ne se permet, en fait de coups d’État, que ceux qu’elle croit nécessaires ; que c’est attacher bien de l’importance à mes remarques et à ma personne que de me figurer qu’elles puissent inquiéter les hommes qui gouvernent cet Empire : ces motifs de sécurité et bien d’autres encore que je me dispense de noter me paraissent plus spécieux que solides ; l’expérience ne m’a que trop prouvé l’esprit de minutie qui règne chez les personnages trop puissants ; tout importe à qui veut cacher qu’il domine par la peur ; et quiconque tient à l’opinion ne peut dédaigner celle d’un homme indépendant qui écrit : un gouvernement qui vit de mystère et dont la force est dans la dissimulation, pour ne pas dire la feinte, s’effarouche de tout ; tout lui paraît de conséquence ; en un mot,