Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/365

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cevait l’ordre de m’écraser. La difficulté qu’on éprouve pour s’introduire dans ce pays m’ennuie, mais elle m’effraie peu ; ce dont je suis frappé, c’est de celle qu’on aurait à s’enfuir. Les gens du peuple disent : « Pour entrer en Russie, les portes sont larges ; pour en sortir, elles sont étroites. » Quelque grand que soit cet Empire, j’y suis à la gêne ; la prison a beau être vaste, le prisonnier s’y trouve toujours à l’étroit. C’est une illusion de l’imagination, j’en conviens, mais il fallait venir ici pour y être sujet.

Sous la garde de mon soldat, j’ai suivi rapidement les bords de la Néva ; on sort de Pétersbourg par une espèce de rue de village un peu moins monotone que les routes que j’ai parcourues jusqu’ici en Russie. Quelques échappées de vue sur la rivière à travers des allées de bouleaux, une suite de fabriques, des usines en assez grand nombre et qui paraissent en grande activité, des hameaux bâtis en bois varient un peu le paysage. N’allez pas vous figurer une nature vraiment pittoresque dans l’acception ordinaire de ce terme ; cette partie du pays est moins désolée que ce qu’on a vu de l’autre côté ; voilà tout. D’ailleurs, j’ai de la prédilection pour les sites tristes ; il y a toujours quelque grandeur dans une nature dont la contemplation porte à la rêverie. J’aime encore mieux, comme paysage poétique, les bords de la Néva, que le revers de Montmartre du côté de la plaine de Saint--