Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/378

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lui-même dans un salon convenable, où il m’offrit une légère collation en me présentant avec une sorte d’orgueil conjugal à une jeune et belle personne ; c’était sa femme. Elle m’attendait là toute seule, assise sur un canapé, d’où elle ne se leva pas à mon arrivée ; elle ne disait mot, parce qu’elle ne savait pas le français, et n’osait se mouvoir, je ne sais pour quoi ; elle prenait peut-être l’immobilité pour de la politesse et confondait les airs guindés avec le bon goût ; sa manière de me faire les honneurs de chez elle consistait à ne se permettre aucun mouvement ; elle semblait s’appliquer à représenter devant moi la statue de l’hospitalité vêtue de mousseline blanche doublée de rose : parure plus recherchée qu’élégante ; en considérant avec attention sa jupe brochée, ou verte par devant et doublée de soie, et tous les pompons dont elle s’était affublée pour éblouir l’étranger ; en voyant, dis-je, cette figure de cire, rose, impassible, étalée sur un grand sofa, duquel on eût dit qu’elle ne pouvait se détacher, je la prenais pour une madone grecque sur l’autel ; il ne lui manquait que des lèvres moins roses, des joues moins fraîches, qu’une châsse et des applications d’or et d’argent pour rendre l’illusion complète. Je mangeais et me réchauffais en silence ; elle me regardait sans presque oser détourner les yeux de dessus moi : c’eût été les mouvoir, et le parti de l’immobilité était si bien pris que