Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/49

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Je n’ai rien fait d’extraordinaire ; j’ai dit aux soldats : Retournez à vos rangs, et au moment de passer le régiment en revue, j’ai crié : À genoux ! Tous ont obéi. Ce qui m’a rendu fort c’est que l’instant d’auparavant je m’étais résigné à la mort. Je suis reconnaissant du succès ; je n’en suis pas fier, car je n’y ai aucun mérite. »

Telles furent les nobles expressions dont se servit l’Empereur pour me raconter cette tragédie contemporaine.

Vous pouvez juger par là de l’intérêt des sujets qui fournissent à sa conversation avec les étrangers qu’il veut bien honorer de sa bienveillance ; il y a loin de ce récit aux banalités de cour. Ceci doit vous faire comprendre l’espèce de pouvoir qu’il exerce sur nous comme sur ses peuples et sur sa famille. C’est le Louis XIV des Slaves.

Des témoins oculaires m’ont assuré qu’on le voyait grandir à chaque pas qu’il faisait en s’avançant au devant des mutins. De taciturne, mélancolique et minutieux qu’il avait paru dans sa jeunesse, il devint un héros sitôt qu’il fut souverain. C’est le contraire de la plupart des princes qui promettent plus qu’ils ne tiennent.

Celui-ci est tellement dans son rôle que le trône est pour lui ce qu’est la scène pour un grand acteur. Son attitude devant la garde rebelle était si imposante,