Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/73

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d’une obéissance aveugle et servile lui devient importun et suspect ; les exceptions ouvrent la porte aux prétentions : les prétentions se transforment en droits, et sous un despote, un sujet qui se croit des droits est un rebelle.

Le maréchal Paskiewitch pourrait attester la vérité de ces remarques : on n’ose l’écraser, mais on l’annule tant qu’on peut.

Avant ce voyage mes idées sur le despotisme m’avaient été suggérées par l’étude que j’avais faite des sociétés autrichienne et prussienne. Je ne songeais pas que ces États ne sont despotiques que de nom, et que les mœurs y servent de correctif aux institutions ; je me disais : Là, des peuples gouvernés despotiquement me paraissent les plus heureux hommes de la terre ; le despotisme mitigé par la douceur des habitudes n’est donc pas une chose aussi détestable que nos philosophes nous le disent ; je ne savais pas encore ce que c’est que la rencontre d’un gouvernement absolu et d’une nation d’esclaves.

C’est en Russie qu’il faut venir pour voir le résultat de cette terrible combinaison de l’esprit et de la science de l’Europe avec le génie de l’Asie : je la trouve d’autant plus redoutable qu’elle peut durer, parce que l’ambition et la peur, passions qui ailleurs perdent les hommes en les faisant trop parler, engendrent ici le silence. Ce silence violent produit un calme forcé,