Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/72

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nous des métamorphoses miraculeuses. On devient flatteur profond à Pétersbourg de même qu’orateur sublime à Paris. Quel talent d’observation n’a-t-il pas fallu aux courtisans russes pour découvrir qu’un moyen de plaire à l’Empereur est de se promener l’hiver sans redingote dans les rues de Pétersbourg ! Cette flatterie héroïque, adressée directement au climat et indirectement au maître, a coûté la vie à plus d’un ambitieux. Ambitieux est même trop dire, car ici on flatte avec désintéressement. Vous concevez qu’il est facile de déplaire dans un pays où de telles manières de plaire sont en usage. Deux fanatismes, deux passions plus analogues qu’elles ne le paraissent, l’orgueil populaire et l’abnégation servile du courtisan font des miracles : l’une élève la parole au comble de l’éloquence, l’autre donne la force du silence ; mais toutes deux marchent au même but. Voilà donc sous le despotisme sans bornes les esprits aussi émus, aussi tourmentés que sous la république, avec cette différence que l’agitation muette des sujets de l’autocratie trouble profondément les âmes à cause du secret que l’ambition est forcée de s’imposer pour réussir sous un gouvernement absolu. Chez nous, les sacrifices, pour être profitables, doivent être publics ; ici, au contraire, ils doivent rester ignorés. Le souverain tout-puissant ne déteste rien tant qu’un sujet ouvertement dévoué : tout zèle qui va au delà