Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/16

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pris, et la nuit riche d’ombre laisse tomber sur les objets un voile qui les agrandit et les fait paraître plus touchants ; l’obscurité comme l’absence captive la pensée par l’incertitude, elle appelle le vague de la poésie au secours de ses enchantements : la nuit, l’absence et la mort sont des magiciennes, et leur puissance à toutes les trois est un mystère aussi bien que tout ce qui agit sur l’imagination. L’imagination dans ses rapports avec la nature, dans ses effets, dans ses prestiges ne sera jamais définie d’une manière satisfaisante par les esprits les plus subtils, ni les plus sublimes. Définir clairement l’imagination ce serait remonter à la cause des passions. Source de l’amour, véhicule de la pitié, instrument du génie, don redoutable entre tous les dons, car il fait de l’homme un nouveau Prométhée, l’imagination est la force du Créateur, prêtée pour un instant à la créature ; l’homme la reçoit, il ne la mesure pas ; elle est en lui, elle n’est pas à lui.

Quand la voix cesse de chanter, quand l’arc-en-ciel s’efface, savez-vous où sont allés les sons et les couleurs ? pouvez-vous dire d’où ils étaient venus ? Tels sont, mais bien plus incalculables, bien plus variés, plus fugitifs et surtout plus inquiétants les prestiges de l’imagination !!… Je l’ai senti toute ma vie avec un inutile effroi ; j’ai beaucoup trop d’imagination pour ce que j’en fais : je devais me rendre