Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/399

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vention quelques passages de ce manuscrit, et il le fit avec une volubilité, une fluidité, une loquèle dignes du latin du Médecin malgré lui ; son adresse m’aurait trompé, si je n’eusse été sur mes gardes ; mais je vis clairement qu’il voulait réparer sa franchise et me donner à penser, sans le dire, que l’aveu qu’il veņait de me faire n’était qu’une plaisanterie. Cette finesse, toute profonde qu’elle était, fut perdue.

Tels sont cependant les jeux d’enfants où se réduisent les peuples, quand leur amour-propre souffrant les met en rivalité de civilisation avec des nations plus anciennes !…

Il n’y a ni ruse ni mensonge dont leur dévorante vanité ne devienne capable dans l’espoir que nous dirons en retournant chez nous : « On a pourtant eu tort d’appeler ces gens-là : les barbares du Nord. » Cette qualification ne leur sort pas de la tête : ils la rappellent à tout propos aux étrangers avec une humilité ironique ; et ils ne s’aperçoivent pas que, par cette susceptibilité même, ils donnent des armes contre eux à leurs détracteurs.

Ce qui m’a le plus étonné dans la petite scène que vous venez de lire, c’est l’imperturbable sang-froid de l’homme qui la jouait. Rien ne se peint sur la figure d’un Russe qui s’observe, et tout Russe s’observe presque toujours. Son visage fut de bonne heure moulé pour toute sa vie dans la peur et dans