Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/398

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des autres étrangers, parce que leur accent nous est désagréable ou nous paraît ridicule, et pourtant, malgré la peine qu’ils ont à parler notre langue, ceux-ci nous comprennent au fond mieux que les Russes, dont l’imperceptible et douce cantilène nous séduit d’abord et les aide à nous tromper, tandis qu’ils n’ont le plus souvent que l’apparence des idées, des sentiments et de la compréhension que nous leur attribuons. Dès qu’il faudrait causer avec un peu d’abandon, conter une histoire, dépeindre une impression personnelle, le prestige cesse et la fraude apparaît au grand jour. Mais ils sont les hommes les plus habiles du monde à cacher leurs bornes : dans l’intimité, ce talent diplomatique fatigue.

Un Russe me montrait hier dans son cabinet une petite bibliothèque portative qui me paraissait un modèle de bon goût. Je m’approche de cette collection pour ouvrir un volume qui me paraît étrange ; c’était un manuscrit arabe recouvert en vieux parchemin. « Vous êtes bien heureux, vous savez l’arabe ? dis-je au maître de la maison. — Non, me répondit-il ; mais j’ai toujours toutes sortes de livres autour de moi : cela donne bon air à une chambre. »

À peine cette naïveté lui était-elle échappée, que l’expression de mon visage lui fit sentir, malgré moi, qu’il venait de s’oublier. Alors, bien assuré qu’il était de mon ignorance, il se mit à me traduire d’in-