J’achèverai mon voyage, mais sans aller à Borodino, sans assister à l’entrée de la cour au Kremlin, sans vous parler davantage de l’Empereur : qu’au-
dans un pays qu’on ne cesse de représenter comme une terre
barbare. » Ce chant de triomphe exécuté d’un air si délibéré
nous donne un échantillon de la manière dont les Russes comprennent
la civilisation. En fait de progrès politique et législatif, la
Russie jusqu’à présent s’est contentée du mot ; à la manière dont les
lois sont observées dans ce pays on ne risque rien de les faire douces.
C’est ainsi que par un système opposé on les faisait sévères dans
l’Europe occidentale du moyen âge et avec tout aussi peu de succès !
On devrait dire aux Russes : commencez par décréter la permission
de vivre, vous raffinerez ensuite sur le code pénal.
En 1836, la sœur d’un M. Pawlof, employé dans je ne sais quelle
administration, avait été séduite par un jeune homme qui refusait
de l’épouser, malgré les sommations du frère. Celui-ci apprenant
que le séducteur allait se marier à une autre femme, attend le
fiancé à la porte de sa maison au moment où le cortège revient de
la messe et il le poignarde. Le lendemain, Pawlof fut dégradé ; il
allait subir la peine légale de l’exil ; mais l’Empereur mieux informé
casse l’arrêt de l’Empereur mal informé !… et le surlendemain,
l’assassin est réhabilité.
Lors de l’affaire d’Alibaud, un Russe, qui n’est pas un paysan
puisqu’il est le neveu d’un des grands seigneurs les plus spirituels de
la Russie, déclamait contre le gouvernement français : « Quel pays,
s’écriait-il ; juger un pareil monstre !… que ne l’exécutait-on le
lendemain de son attentat !!… »
Voilà l’idée que les Russes se font du respect qu’on doit à la justice
et au monarque.
La courte brochure de M. J. Tolstoï n’est qu’un hymne en prose
en l’honneur du despotisme, qu’il confond sans cesse, soit à dessein,
soit naïvement, avec la monarchie tempérée ; cet ouvrage