Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/71

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le spectacle de ces calamités répandues non sur une famille, non sur une ville, mais sur une race, sur un peuple habitant le tiers du globe, l’âme éperdue est contrainte de se détourner de la terre, et de s’écrier : « C’est bien vrai, mon Dieu ! votre royaume n’est pas de ce monde. »

Hélas ! pourquoi mes paroles ont-elles si peu de puissance ? Que ne peuvent-elles égaler par leur énergie l’excès d’un malheur qu’on ne saurait consoler que par un excès de pitié ! Le spectacle de cette société, dont tous les ressorts sont tendus comme la batterie d’une arme qu’on va tirer, me fait peur au point de me donner le vertige.

Depuis que je vis en ce pays, et que je connais le fond du cœur de l’homme qui le gouverne, j’ai la fièvre et je m’en vante, car si l’air de la tyrannie me suffoque, si le mensonge me révolte, je suis donc né pour quelque chose de mieux, et les besoins de ma nature, trop nobles pour pouvoir être satisfaits dans des sociétés comme celle que je contemple ici, me présagent un bonheur plus pur. Dieu ne nous a pas doués de facultés sans emploi. Sa pensée nous assigne notre place de toute éternité ; c’est à nous de ne pas nous rendre indignes de la gloire qu’il nous réserve et du poste qu’il nous destine. Ce qu’il y a de meilleur en nous a son terme en lui.

Savez-vous ce qui m’a donné le loisir d’écrire ces