Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/113

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

monie surprenants. Malgré ou peut-être à cause de leur rudesse, nous appellerions sur un théâtre ces modulations des accords savants. La manière dont les différentes parties sont respectivement placées, la succession inattendue des accords, le dessin de la composition, les entrées de voix : tout cela est touchant et n’est jamais commun ; ce sont les seuls chants populaires où j’aie entendu prodiguer les roulades. De tels ornements, toujours mal exécutés par des paysans, sont désagréables à l’oreille ; néanmoins l’ensemble de ces chœurs rustiques est original et même beau.

Je croyais la musique russe apportée de Byzance en Moscovie, on m’assure au contraire qu’elle est indigène ; ceci expliquerait la profonde mélancolie de ces airs, surtout de ceux qui affectent la gaieté par la vivacité du mouvement. Si les Russes ne savent pas se révolter contre l’oppression, ils savent soupirer et gémir.

À la place de l’Empereur, je ne me contenterais pas d’interdire à mes sujets la plainte, je leur défendrais aussi le chant, qui est une plainte déguisée ; ces accents si douloureux sont un aveu et peuvent devenir une accusation, tant il est vrai que, sous le despotisme, les arts eux-mêmes, lorsqu’ils sont nationaux, ne sauraient passer pour innocents ; ce sont des protestations déguisées.