Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/114

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De là sans doute le goût du gouvernement et des courtisans russes pour les ouvrages, les littérateurs et les artistes étrangers ; la poésie empruntée a peu de racines. Chez les peuples esclaves, on craint les émotions profondes causées par les sentiments patriotiques ; aussi tout ce qui est national y devient-il un moyen d’opposition, même la musique. C’est ce qu’elle est en Russie où, des coins les plus reculés du désert, la voix de l’homme élève au ciel ses plaintes vengeresses pour demander à Dieu la part de bonheur qui lui est refusée sur la terre !… Je conclus que si l’on est assez puissant pour opprimer les hommes, il faut être assez conséquent pour leur dire : ne chantez pas. Rien ne révèle la souffrance habituelle d’un peuple comme la tristesse de ses plaisirs. Les Russes n’ont que des consolations, ils n’ont pas de plaisirs. Je suis surpris que personne avant moi n’ait averti le pouvoir de l’imprudence qu’il commet en permettant aux Russes un délassement qui trahit leur misère et donne la mesure de leur résignation : une résignation profonde, c’est un abîme de douleur.