Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/189

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soi-même et qu’on qualifie tout bas ou tout haut de justice rendue à qui de droit, est insultante pour autrui. Cet appel constant à la politesse du prochain, qui n’est, après tout, que le mépris des égards qu’on lui devrait, l’absence totale de sensibilité qui ne sert que d’aiguillon à la susceptibilité, l’hostilité acerbe érigée en devoir patriotique, l’impossibilité de n’être pas choqué à tout propos, quelle que soit la préférence dont on se croit l’objet, celle d’être corrigé, quelque leçon qu’on reçoive ; enfin tant d’infatuation servant de bouclier à la sottise contre la vérité : tous ces traits et bien d’autres que vous suppléerez mieux que je ne pourrais le faire, me semblent caractériser les jeunes Français d’il y a dix ans, lesquels sont des hommes faits aujourd’hui. Ces caractères nuisent à notre considération parmi les étrangers ; ils font peu d’effet à Paris, où le nombre des modèles de ce genre de ridicule est si grand qu’on ne prend plus garde à eux ; ils s’effacent dans la foule de leurs semblables, comme des instruments se fondent dans un orchestre ; mais lorsqu’ils sont isolés et que les individus se détachent sur un fond de société où règnent d’autres passions et d’autres habitudes d’esprit que celles qui s’agitent dans le monde français, ils ressortent d’une manière désespérante pour tout voyageur attaché à son pays comme je le suis au mien. Jugez donc de ma joie en retrouvant ici, à dîner chez le gouverneur,