Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/190

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

M***, l’un des hommes les plus capables de donner bonne idée de la jeune France aux étrangers. À la vérité, il est de la vieille par sa famille ; et c’est au mélange des idées nouvelles avec les anciennes traditions qu’il doit l’élégance de manière et la justesse d’esprit qui le distinguent. Il a bien vu et dit bien ce qu’il a vu ; enfin il ne pense pas plus de bien de lui-même que les autres n’en pensent, peut-être même un peu moins ; aussi m’a-t-il édifié et amusé, en sortant de table, par le récit de tout ce qu’il apprend journellement depuis son séjour en Russie. Dupe d’une coquette à Pétersbourg, il se console de ses mécomptes de sentiment en étudiant le pays avec un redoublement d’attention. Esprit clair, il observe bien, il raconte avec exactitude, ce qui ne l’empêche pas d’écouter les autres, et même — ceci rappelle les beaux jours de la société française — de leur inspirer l’envie de parler. En causant avec lui, on se fait illusion ; on croit que la conversation est encore un échange d’idées, que la société élégante est toujours fondée chez nous sur des rapports de plaisirs réciproques ; enfin on oublie l’invasion de l’égoïsme brutal et démasqué dans nos salons modernes, et l’on se figure que la vie sociale est comme autrefois un commerce avantageux pour tous : erreur surannée qui se dissipe à la première réflexion, et vous laisse en proie à la plus triste réalité, c’est-à-dire au pillage des idées, des bons mots, à la trahison