Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/291

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je quittai la Russie sans savoir la suite d’une histoire dont le commencement m’avait préoccupé et intéressé comme vous venez de le voir.

Mais tout en m’acheminant rapidement et librement vers la France, ma pensée se reportait souvent dans les cachots de Moscou. Si j’avais su ce qui s’y passait, j’aurais été encore plus agité[1].

  1. Pour ne pas laisser le lecteur dans l’ignorance où je suis resté près de six mois sur le sort du prisonnier de Moscou, j’insère ici ce que je n’ai appris que depuis mon retour en France, touchant l’emprisonnement de M. Pernet et sa délivrance.
        Un jour, vers la fin de l’hiver de 1840, on m’annonce qu’un inconnu est à ma porte et désire me parler ; je fais demander son nom ; il répond qu’il ne le dira qu’à moi-même. Je refuse de le recevoir ; il insiste, je refuse de nouveau. Enfin, renouvelant ses instances, il m’écrit deux mots non signés, pour me dire que je ne puis me dispenser d’écouter un homme qui me doit la vie et qui ne désire que me remercier.
        Ce langage me parait nouveau ; je donne l’ordre de faire monter l’inconnu. En entrant dans ma chambre il me dit : « Monsieur, je n’ai appris votre adresse qu’hier, et aujourd’hui j’accours chez vous : je m’appelle Pernet, et je viens vous exprimer ma reconnaissance, car on m’a dit à Pétersbourg que c’est à vous que j’ai dû la liberté, et par conséquent la vie. »
        Après la première émotion que devait me causer un tel début, je me mis à observer M. Pernet : c’est un des types de cette classe nombreuse de jeunes Français qui ont l’aspect et l’esprit des hommes du Midi ; il a les yeux et les cheveux noirs, les joues creuses, le teint d’une pâleur unie ; il est petit, maigre, grêle, et il paraît souffrant, mais plutôt moralement que physiquement. Il se trouve que je connais des personnes de sa famille établies en Savoie,