je n’avais pu voir à mon premier passage par cette ville.
crier : alors sa voix affaiblie ne peut plus faire entendre qu’un
gémissement sourd et prolongé : cet horrible râle des suppliciés
perçait le cœur du prisonnier et lui présageait un sort qu’il n’osait
envisager.
M. Pernet entend le russe ; d’abord il assista sans les voir à bien
des tortures ignorées : c’étaient deux jeunes filles, ouvrières chez
une modiste en vogue à Moscou ; on fustigeait ces malheureuses
sous les yeux mêmes de leur maîtresse ; celle-ci leur reprochait
d’avoir des amants, et de s’être oubliées jusqu’à les amener dans sa
maison….. ; la maison d’une marchande de modes !!!….. quelle
énormité ! Cependant cette mégère exhortait les bourreaux à frapper
plus fort ; une des jeunes filles demandait grâce ; on vit qu’elle
allait mourir, qu’elle était en sang ; n’importe !… elle avait poussé
l’audace jusqu’à dire qu’elle était moins coupable que sa maîtresse ;
et celle-ci redoublait de sévérité. M. Pernet m’assura, en ajoutant
toutefois qu’il pensait bien que je douterais de son assertion, que
chacune de ces malheureuses reçut, à plusieurs reprises, cent
quatre-vingts coups de verges. « J’ai trop souffert à les compter, me
dit le prisonnier, pour m’être trompé sur le chiffre !! »
On sent la démence s’approcher quand on assiste à de telles
horreurs et qu’on ne peut rien faire pour secourir les victimes.
Ensuite c’étaient des paysans envoyés là par l’intendant de quelque
seigneur ; c’était un serf, domestique dans la ville, puni à la
sollicitation de son maître ; rien que vengeances atroces, qu’iniquités,
que désespoirs ignorés [(*) Voir à la fin du volume, dans l’extrait de Laveau, la liste des personnes incarcérées dans la prison de Moscou pendant l’année 1836. Voir
aussi à la suite du Voyage en Amérique de Dickens, les extraits des
journaux américains concernant le traitement des esclaves aux États
Unis ; rapprochement remarquable entre les excès du despotisme et les
abus de la démocratie.]. Le malheureux prisonnier aspirait