Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/402

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puis donner de ceux-ci qu’un résumé. Les deux récits se ressemblent tellement qu’on les dirait calqués l’un sur l’autre ; et cette similitude n’a pas laissé que d’ajouter à la confiance que m’inspiraient les deux personnes de qui je tiens les faits qu’on va lire. Remarquez que ces deux hommes sont complétement étrangers l’un à l’autre, qu’ils ne se sont jamais vus, et qu’ils ne se connaissent pas même de nom.

Voici d’abord ce que m’a conté M. Girard :

Il fut fait prisonnier pendant la retraite, et envoyé immédiatement dans l’intérieur de la Russie, sous la conduite d’un corps de Cosaques. Le malheureux faisait partie d’un convoi de trois mille Français. Le froid devenait de jour en jour plus intense, et, malgré la saison, les prisonniers furent dirigés au delà de Moscou, pour être dispersés ensuite dans divers gouvernements de l’intérieur.

Mourant de faim, exténués, la fatigue les forçait souvent de s’arrêter en chemin ; aussitôt de nombreux et violents coups de bâton leur tenaient lieu de nourriture, et leur donnaient la force de marcher jusqu’à la mort. À chaque étape, quelques-uns de ces infortunés, peu vêtus, mal nourris, dénués de tout secours et cruellement traités, restaient sur la neige ; une fois tombés, la gelée les collait à terre, et ils ne se relevaient plus. Leurs bourreaux eux-mêmes étaient épouvantés de l’excès de leur misère…

Dévorés de vermine, consumés par la fièvre, par la misère, portant partout avec eux la contagion, ils étaient des objets d’horreur pour les villageois chez lesquels on les faisait séjourner. Ils avançaient à coups de bâton vers les lieux qui leur étaient assignés comme points de repos ; c’était encore à coups de bâton qu’on les y recevait, sans leur permettre d’approcher des personnes, ni même d’entrer dans les maisons.