Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/404

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Tous les matins, avant le départ de la colonne, les Russes brûlaient les morts, et, le dirai-je, quelquefois ils brûlaient les mourants !…

Voilà ce que M. Girard a vu, voilà les souffrances qu’il a partagées, et auxquelles il a survécu, grâce à sa jeunesse et à son étoile.

Ces faits, tout affreux qu’ils sont, ne me paraissent pas plus extraordinaires qu’une foule de récits constatés par les historiens ; mais ce qu’il m’est impossible d’expliquer ni presque de croire, c’est le silence d’un Français sorti de ce pays inhumain, et rentré pour toujours dans sa patrie.

M. Girard n’a jamais voulu publier la relation de ce qu’il a souffert, par respect, disait-il, pour la mémoire de l’Empereur Alexandre, qui l’a retenu près de dix années en Russie, où, après avoir appris la langue du pays, il fut employé comme maître de français dans les écoles Impériales. De combien d’actes arbitraires, de combien de fraudes n’a-t-il pas été témoin dans ces vastes établissements ? Rien n’a pu l’engager à rompre le silence et à faire connaitre à l’Europe tant d’abus criants !

Avant de lui permettre de retourner en France, l’Empereur Alexandre le rencontra un jour pendant une visite que faisait ce prince dans je ne sais quel collége de province. Alors, lui adressant quelques paroles gracieuses sur son désir de quitter la Russie, désir depuis longtemps manifesté par le prisonnier à ses supérieurs, il lui accorda enfin la permission tant de fois demandée de revenir en France : il lui fit même donner quelque argent pour son voyage. M. Girard a une physionomie douce qui sans doute aura plu à l’Empereur.

Voilà comment, après dix ans, le malheureux, échappé à