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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/405

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la mort par miracle, vit finir sa captivité. Il quitta le pays de ses bourreaux et de ses geôliers en chantant hautement les louanges des Russes, et en protestant de sa reconnaissance pour l’hospitalité qu’il avait reçue chez eux.

« Vous n’avez rien écrit ? lui dis-je après avoir écouté attentivement sa narration.

— J’avais l’intention de dire tout ce que je sais, me répondit-il ; mais, n’étant pas connu, je n’aurais pu trouver ni libraire ni lecteur.

— La vérité finit par se faire jour toute seule, repris-je.

— Je n’aime pas à la dire contre ce pays-là, me répliqua M. Girard ; l’Empereur a été si bon pour moi !

— Oui, repartis-je….. mais considérez qu’il est bien aisé de paraître bon en Russie.

— En me donnant mon passe-port, on m’a recommandé la discrétion. »

Voilà ce que dix ans de séjour dans ce pays-là peuvent produire sur l’esprit d’un homme né en France, d’un homme brave et loyal. Calculez, d’après cela, quel doit être le sentiment moral qui se transmet de génération en génération parmi les Russes…..

Au mois de février 1842, j’étais à Milan, où je rencontrai M. Grassini, qui me raconta qu’en 1812, servant dans l’armée du vice-roi d’Italie, il avait été fait prisonnier aux environs de Smolensk pendant la retraite. Depuis lors, il a passé deux années dans l’intérieur de la Russie. Voici notre dialogue : je le copie ici avec une exactitude scrupuleuse, car je l’avais noté le jour même.

« Vous avez dû bien souffrir dans ce pays-là, lui dis-je, de l’inhumanité des habitants et des rigueurs du climat ?