Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/414

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Je me trouve bien heureux de n’avoir séjourné en Russie que pendant quelques mois, car je remarque que les hommes les plus francs, les esprits les plus indépendants, lors qu’ils ont passé plusieurs années dans ce singulier pays, croient tout le reste de leur vie qu’ils y sont encore ou qu’ils sont exposés à y retourner. Et voilà ce qui nous explique l’ignorance où on nous a laissés jusqu’ici de tout ce qui s’y passe. Le vrai caractère des hommes qui habitent l’intérieur de cet immense et redoutable Empire est une énigme pour la plupart des Européens. Si tous les voyageurs, par des motifs divers, se donnent le mot pour taire, ainsi que vous le faites, les vérités désagréables qu’on peut dire à ce peuple et aux hommes qui le gouvernent, il n’y a pas de raison pour que l’Europe sache jamais à quoi s’en tenir sur cette prison modèle. Vanter les douceurs du despotisme, même lorsqu’on est hors de ses atteintes, c’est un degré de prudence qui me parait criminel. Certes, il y a là un mystère inexplicable ; si je ne l’ai pas pénétré, j’ai du moins échappé à la fascination de la peur, et c’est ce que je prouverai par la sincérité de mes narrations. »


______


En terminant ces longs récits, je crois devoir communiquer aux lecteurs une pièce que je regarde comme authentique. Il ne m’est pas permis de dire par quel moyen j’ai pu me la procurer ; car bien que les faits qu’on y raconte soient maintenant du domaine de l’histoire, il serait dangereux à Pétersbourg d’avouer qu’on s’en occupe ; ce serait au moins se rendre coupable d’inconvenance : c’est le mot d’ordre pour désigner prudemment les conspirations. Tout le monde sait