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CONTRE UN GROS HOMME.

je ne ſuis pas tout ſeul les yeux de tout le monde, permettez que je donne voſtre portrait à la Poſterité, qui un jour ſera bien aiſe de ſçavoir comment vous eſtiez fait. On ſçaura donc en premier lieu, que la Nature qui vous ficha une teſte ſur la poitrine, ne voulut pas expreſſément y mettre de col, afin de le dérober aux malignitez de voſtre Horoſcope ; Que voſtre ame eſt ſi groſſe, qu’elle ſerviroit bien de corps à une perſonne un peu déliée ; Que vous avez ce qu’aux Hommes on appelle la face ſi fort au deſſous des épaules, & ce qu’on appelle les épaules ſi fort au deſſus de la face, que vous ſemblez un S. Denys portant ſon Chef entre ſes mains : Encore je ne dis que la moitié de ce que je voy, car ſi je deſcens mes regards juſqu’à voſtre bedaine, je m’imagine voir aux Limbes tous les Fidelles dans le ſein d’Abraham ; Sainte Urſule qui porte les onze mille Vierges envelopées dans ſon manteau, ou le Cheval de Troye farcy de quarante mille hommes : Mais je me trompe, vous eſtes quelque choſe de plus gros, ma raiſon trouve bien plus d’apparence à croire que vous eſtes une louppe aux entrailles de la Nature, qui rend la Terre jumelle. Hé ! quoy, vous n’ouvrez jamais la bouche, qu’on ne ſe