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Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/110

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être devenu monstre. Enfin une de ces bêtes-hommes m’ayant pris par le col, de même que font les loups quand ils enlèvent des brebis, me jeta sur son dos, et me mena dans leur ville, où je fus plus étonné que devant, quand je reconnus en effet que c’étoient des hommes, de n’en rencontrer pas un qui ne marchât à quatre pattes.

Lorsque ce peuple me vit si petit (car la plupart d’entre eux ont douze coudées de longueur), et mon corps soutenu de deux pieds seulement, ils ne purent croire que je fusse un homme, car ils tenoient que la Nature ayant donné aux hommes comme aux bêtes deux jambes et deux bras, ils s’en devoient servir comme eux. Et en effet, rêvant depuis là-dessus, j’ai songé que cette situation de corps n’étoit point trop extravagante, quand je me suis souvenu que les enfans, lorsqu’ils ne sont encore instruits que de Nature, marchent à quatre pieds, et qu’ils ne se lèvent sur deux que par le soin de leurs nourrices qui les dressent dans de petits chariots, et leur attachent des lanières pour les empêcher de choir sur les quatre, comme la seule assiette où la figure de notre masse incline de se reposer.

Ils disoient donc (à ce que je me suis fait depuis interpréter) qu’infailliblement j’étois la femelle du petit animal de la Reine. Ainsi je fus en qualité de tel ou d’autre chose mené droit à l’Hôtel de Ville, où je remarquai selon le bourdonnement et les postures que faisoient et le peuple et les Magistrats, qu’ils consultoient ensemble ce que je pouvois être. Quand ils eurent longtemps conféré, un certain bourgeois qui gardoit les bêtes rares, supplia les Échevins de me commettre à sa garde, en attendant que la Reine m’envoyât quérir pour vivre avec mon mâle. On n’en fit aucune difficulté, et ce bateleur me porta à son logis, où il m’instruisit à faire le