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enracinés dans la catégorie des Brutes, ni je ne savois leur langue, ni eux n’entendoient pas la mienne, et jugez ainsi quelle proportion ; car vous saurez que deux Idiomes seulement sont usités en ce pays, l’un qui sert aux grands, et l’autre qui est particulier pour le peuple.

Celui des grands n’est autre chose qu’une différence de tons non articulés, à peu près semblables à notre musique (62), quand on n’a pas ajouté les paroles à l’air, et certes c’est une invention tout ensemble et bien utile et bien agréable ; car quand ils sont las de parler, ou quand ils dédaignent de prostituer leur gorge à cet usage, ils prennent ou un Luth, ou un autre instrument, dont ils se servent aussi bien que de la voix à se communiquer leurs pensées ; de sorte que quelquefois ils se rencontreront jusqu’à quinze ou vingt de compagnie, qui agiteront un point de Théologie, ou les difficultés d’un procès, par un concert le plus harmonieux dont on puisse chatouiller l’oreille (63).

Le second, qui est en usage chez le peuple, s’exécute par le trémoussement des membres, mais non pas peut-être comme on se le figure, car certaines parties du corps signifient un discours tout entier. L’agitation par exemple d’un doigt, d’une main, d’une oreille, d’une lèvre, d’un bras, d’un œil, d’une joue, feront chacun en particulier une oraison ou une période avec tous ses membres. D’autres ne servent qu’à désigner des mots, comme un pli sur le front, les divers frissonnemens des muscles, les renversemens des mains, les battemens de pied, les contorsions de bras ; de sorte que quand ils parlent, avec la coutume qu’ils ont prise d’aller tout nus, leurs membres, accoutumés à gesticuler leurs conceptions, se remuent si dru, qu’il ne semble pas d’un homme qui parle, mais d’un corps qui tremble (64).

Presque tous les jours le Démon me venoit visiter, et