Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/116

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a trop peu de rapport, dit-il, entre vos sens et l’explication de ces mystères. Vous vous imaginez vous autres que ce que vous ne sauriez comprendre est spirituel, ou qu’il n’est point ; mais cette conséquence est très fausse, et c’est un témoignage qu’il y a dans l’univers un million peut-être de choses qui pour être connues demanderoient en vous un million d’organes tous différens. Moi, par exemple, je connois par mes sens la cause de la sympathie de l’aimant avec le pôle, celle du reflux de la mer, et ce que l’animal devient après sa mort ; vous autres ne sauriez donner jusqu’à ces hautes conceptions que par la foi, à cause que les proportions à ces miracles vous manquent, non plus qu’un aveugle ne sauroit s’imaginer ce que c’est que la beauté d’un paysage, le coloris d’un tableau, et les nuances de l’iris ; ou bien il se les figurera tantôt comme quelque chose de palpable comme le manger, comme un son, ou comme une odeur. Tout de même si je voulois vous expliquer ce que j’aperçois par les sens qui vous manquent, vous vous le représenteriez comme quelque chose qui peut être ouï, vu, touché, fleuré, ou savouré, et ce n’est rien cependant de tout cela. »

Il en était là de son discours quand mon Bateleur s’aperçut que la chambrée commençoit à s’ennuyer de mon jargon qu’ils n’entendoient point, et qu’ils prenoient pour un grognement non articulé. Il se remit de plus belle à tirer ma corde pour me faire sauter, jusques à ce que les spectateurs étant soûls de rire et d’assurer que j’avois presque autant d’esprit que les bêtes de leur pays, ils se retirèrent chacun chez soi.

J’adoucissois ainsi la dureté des mauvais traitemens de mon maître par les visites que me rendoit cet officieux Démon ; car de m’entretenir avec ceux qui me venoient voir, outre qu’ils me prenoient pour un animal des mieux