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Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/182

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espèce et d’avoir abandonné généralement toutes les autres au néant ou à l’infortune ; ces raisons, à la vérité, brillent un peu de loin. Et quoi que je pusse lui demander comme il sait que ce qui est juste à nous, soit aussi juste à Dieu ? comme il sait que Dieu se mesure à notre aulne ? comme il sait que nos loix et nos coutumes, qui n’ont été instituées que pour remédier à nos désordres, servent aussi pour tailler les morceaux de la toute-puissance de Dieu ? je passerai toutes ces choses, avec tout ce qu’ont si divinement répondu sur cette matière les Pères de votre Église, et je vous découvrirai un mystère qui n’a point encore été révélé.

« Vous savez, ô mon fils, que de la terre quand il se fait un arbre, d’un arbre un pourceau, d’un pourceau un homme, ne pouvons-nous donc pas croire, puisque tous les êtres en la Nature tendent au plus parfait, qu’ils aspirent à devenir hommes (134), cette essence étant l’achèvement du plus beau mixte, et le mieux imaginé qui soit au Monde, parce que c’est le seul qui fasse le lien de la vie brutale avec l’angélique. Que ces métamorphoses arrivent, c’est ce qu’on ne peut nier sans être pédant, puisque nous voyons qu’un prunier par la chaleur de son germe, comme par une bouche, suce et digère le gazon qui l’environne ; qu’un pourceau dévore ce fruit et le fait devenir une partie de soi-même ; et qu’un homme mangeant le pourceau, réchauffe cette chair morte, la joint à soi, et fait revivre cet animal sous une plus noble espèce (135). Ainsi ce grand Pontife que vous voyez la mitre sur la tête étoit peut-être il y a soixante ans, une touffe d’herbe dans mon jardin. Dieu donc, étant le Père commun de toutes ses créatures, quand il les aimeroit toutes également, n’est-il pas bien croyable qu’après que, par cette métempsycose plus raisonnée que la Pythagorique, tout ce qui sent, tout ce qui végète enfin, après que