Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/222

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guichetier l’un après l’autre, par une exacte dissection des parties de mon visage, venoit tirer mon tableau sur la toile de sa mémoire.

À sept heures sonnantes, le bruit d’un trousseau de clefs donna le signal de la retraite. On me demanda si je voulois être conduit à la chambre d’une pistole ; je répondis d’un baissement de tête : « De l’argent donc ! » me répliqua ce guide. Je connus bien que j’étois en lieu où il m’en faudroit avaler bien d’autres ; c’est pourquoi je le priai, en cas que sa courtoisie ne pût se résoudre à me faire crédit jusqu’au lendemain, qu’il dît de ma part au Geôlier de me rendre la monnoie qu’on m’avoit prise. « Ho ! par ma foi, répondit ce maraud, notre maître à bon cœur, il ne rend rien. Est-ce donc que pour votre beau nez ?… Hé ! allons, allons aux cachots noirs. » En achevant ces paroles, il me montra le chemin par un grand coup de son trousseau de clefs, la pesanteur duquel me fit culbuter et griller (166) du haut en bas d’une montée obscure, jusqu’au pied d’une porte qui m’arrêta ; encore n’aurois-je pas reconnu que c’en étoit une, sans l’éclat du choc dont je la heurtai, car je n’avois plus mes yeux : ils étoient demeurés au haut de l’escalier sous la figure d’une chandelle que tenoit à quatre-vingts marches au-dessus de moi mon bourreau de conducteur. Enfin cet homme tigre, pian piano descendu, démêla trente grosses serrures, décrocha autant de barres, et le guichet seulement entre-bâillé, d’une secousse de genoux il m’engouffra dans cette fosse dont je n’eus pas le temps de remarquer toute l’horreur, tant il retira vite après lui la porte. Je demeurai dans la bourbe jusqu’aux genoux. Si je pensois gagner le bord, j’enfonçois jusqu’à la ceinture. Le gloussement terrible des crapauds qui pataugeoient dans la vase, me faisoit souhaiter d’être sourd ; je sentois des lézards monter le long de mes cuisses ; des couleuvres