Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/223

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m’entortiller le cou : et j’en entrevis une à la sombre clarté de ses prunelles étincelantes, qui de sa gueule toute noire de venin dardoit une langue à trois pointes, dont la brusque agitation paraissoit une foudre, où ses regards mettoient le feu.

D’exprimer le reste, je ne puis : il surpasse toute créance ; et puis je n’ose tâcher à m’en ressouvenir, tant je crains que la certitude où je pense être d’avoir franchi ma prison, ne soit un songe duquel je me vais éveiller. L’aiguille avoit marqué dix heures au cadran de la grosse tour, avant que personne eût frappé à mon tombeau. Mais, environ ce temps-là, comme déjà la douleur d’une amère tristesse commençoit à me serrer le cœur, et désordonner ce juste accord qui fait la vie, j’entendis une voix laquelle m’avertissoit de saisir la perche qu’on me présentoit. Après avoir parmi l’obscurité, tâtonné l’air assez longtemps pour la trouver, j’en rencontrai un bout, je le pris tout ému, et mon Geôlier tirant l’autre à soi, me pêcha du milieu de ce marécage. Je me doutai que mes affaires avoient pris une autre face, car il me fit de profondes civilités, ne me parla que la tête nue, et me dit que cinq ou six personnes de condition attendoient dans la cour pour me voir. Il n’est pas jusqu’à cette bête sauvage, qui m’avoit enfermé dans la cave que je vous ai décrite, lequel eut l’impudence de m’aborder : avec un genou en terre, m’ayant baisé les mains, de l’une de ses pattes, il m’ôta quantité de limas (167) qui s’étoient collés à mes cheveux, et, de l’autre, il fit choir un gros tas de sangsues dont j’avois le visage masqué.

Après cette admirable courtoisie : « Au moins, me dit-il, mon bon seigneur, vous vous souviendrez de la peine et du soin qu’a pris auprès de vous le gros Nicolas. Pardi écoutez, quand c’eût été pour le Roi ! Ce n’est pas pour vous le reprocher, déa. » Outré de l’effronterie du maraud,