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Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/280

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dant en conséquence de cette Principauté ridicule, il s’attribue tout joliment sur nous le droit de vie et de mort ; il nous dresse des embuscades, il nous enchaîne, il nous jette en prison, il nous égorge, il nous mange, et, de la puissance de tuer ceux qui sont demeurés libres, il fait un prix à la noblesse[1]. Il pense que le Soleil s’est allumé pour l’éclairer à nous faire la guerre ; que Nature nous a permis d’étendre nos promenades dans le Ciel, afin seulement que de notre vol il puisse tirer de malheureux ou favorables auspices (204) : et quand Dieu mit des entrailles dedans notre corps, qu’il n’eut intention que de faire un grand livre où l’Homme pût apprendre la science des choses futures.

Hé ! bien, ne voilà pas un orgueil tout à fait insupportable ? Celui qui l’a conçu pouvoit-il mériter un moindre châtiment que de naître Homme ? Ce n’est pas toutefois sur quoi je vous presse de condamner celui-ci. La pauvre bête n’ayant pas comme nous l’usage de raison, j’excuse ses erreurs quant à celles que produit son défaut d’entendement ; mais pour celles qui ne sont filles que de la volonté, j’en demande justice : par exemple, de ce qu’il nous tue, sans être attaqué par nous ; de ce qu’il nous mange, pouvant repaître sa faim de nourriture plus convenable, et ce que j’estime beaucoup plus lâche, de ce qu’il débauche le bon naturel de quelques-uns des nôtres, comme des Laniers (205), des Faucons et des Vautours, pour les instruire au massacre des leurs, à faire gorge chaude de leur semblable, ou nous livrer entre ses mains.

« Cette seule considération est si pressante, que je demande à la Cour qu’il soit exterminé de la mort triste. »

Tout le Barreau frémit de l’horreur d’un si grand sup-

  1. Allusion au privilège de la chasse attribué à la noblesse.