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Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/281

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plice ; c’est pourquoi afin d’avoir lieu de le modérer, le Roi fit signe à mon Avocat de répondre.

C’étoit un Étourneau, grand jurisconsulte, lequel après avoir frappé trois fois de sa patte contre la branche qui le soutenoit, parla ainsi à l’assemblée :

« Il est vrai, Messieurs, qu’ému de pitié, j’avois entrepris la cause pour cette malheureuse bête ; mais sur le point de la plaider, il m’est venu un remords de conscience, et comme une voix secrète, qui m’a défendu d’accomplir une action si détestable. Ainsi, Messieurs, je vous déclare, et à toute la Cour, que pour faire le salut de mon âme, je ne veux contribuer en façon quelconque à la durée d’un monstre tel que l’Homme. »

Toute la populace claqua du bec en signe de réjouissance, et pour congratuler à la sincérité d’un si Oiseau de bien.

Ma Pie se présenta pour plaider à sa place ; mais il lui fut imposé de se taire[1], à cause qu’ayant été nourrie parmi les Hommes, et peut-être infectée de leur morale, il étoit à craindre qu’elle n’apportât à ma cause un esprit prévenu ; car la Cour des Oiseaux ne souffre point que l’Avocat, qui s’intéresse davantage pour un client que pour l’autre, soit ouï, à moins qu’il puisse justifier que cette inclination procède du bon droit de la partie.

Quand mes juges virent que personne ne se présentoit pour me défendre, ils étendirent leurs ailes qu’ils secouèrent, et volèrent incontinent aux opinions.

La plus grande partie, comme j’ai su depuis, insista fort que je fusse exterminé de la mort triste ; mais, toutefois, quand on aperçut que le Roi penchoit à la douceur, chacun revint à son opinion. Ainsi mes juges se modé-

  1. Var. de l’autre tirage : impossible de se taire. ~ 1699 : impossible d’avoir audience.