Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/298

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gique vertu de cette pomme conduisant son labeur selon le dessein de l’ouvrier, suivit au dedans de l’image les traits qu’elle avoit rencontrés à la superficie, car elle dilata, échauffa et colora, à proportion de la nature des lieux qui se rencontrèrent dans son passage. Enfin le marbre devenu vivant, et touché de la passion de la pomme, embrassa Pygmalion de toutes les forces de son cœur ; et Pygmalion, transporté d’un amour réciproque, le reçut pour sa Femme.

« Dans cette même Province la jeune Iphis avoit mangé de ce fruit avec la belle Yante, sa compagne, dans toutes les circonstances requises pour causer une amitié réciproque. Leur repas fut suivi de son effet accoutumé ; mais parce qu’Iphis l’avoit trouvé d’un goût fort savoureux, elle en mangea tant, que son amitié qui croissoit avec le nombre des pommes dont elle ne se pouvoit rassasier, usurpa toutes les fonctions de l’amour, et cet amour à force d’augmenter peu à peu, devint plus mâle et plus vigoureux. Car comme tout son corps imbu de ce fruit, brûloit de former des mouvements qui répondissent aux enthousiasmes de sa volonté, il remua chez soi la matière si puissamment, qu’il se construisit des organes beaucoup plus forts, capables de suivre sa pensée et de contenir pleinement son amour dans sa plus virile étendue, c’est-à-dire qu’Iphis devint ce qu’il faut être pour épouser une Femme.

« J’appellerois cette aventure-là un miracle, s’il me restoit un nom pour intituler l’événement qui suit :

« Un jeune homme fort accompli qui s’appeloit Narcisse, avoit mérité par son amour l’affection d’une fille fort belle, que les Poètes ont célébrée sous le nom d’Écho ; mais comme vous savez que les Femmes plus que ceux de notre sexe, ne sont jamais assez chéries à leur gré, ayant ouï vanter la vertu des pommes d’Oreste,