Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/301

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ventre de la mère, et jumeau d’une personne qui ne lui est point parent, tout cela est bien éloigné du chemin ordinaire de la Nature ; et cependant ce que je vous vais conter vous surprendra davantage.

« Parmi la somptueuse diversité de toutes sortes de fruits qu’on avoit apportés des plus lointains climats, pour le festin des noces de Cambyse, on lui présenta une greffe d’Oreste, qu’il fit enter sur un Platane ; et parmi les autres délicatesses du dessert, on lui servit des pommes du même arbre.

« La friandise du mets le convia d’en manger beaucoup ; et la substance de ce fruit, étant convertie après les trois coctions en un germe parfait, il en forma au ventre de la Reine l’embryon de son fils Artaxerce, car toutes les particularités de sa vie ont fait conjecturer à ses Médecins qu’il doit avoir été produit de la sorte.

« Quand le jeune cœur de ce Prince fut en âge de mériter la colère d’Amour, on ne remarqua point qu’il soupirât pour ses semblables : il n’aimoit que les arbres, les vergers et les bois ; mais par-dessus tous ceux pour lesquels il parut sensible, le beau Platane sur lequel son père Cambyse avoit jadis fait enter cette greffe d’Oreste, le consuma d’amour.

« Son tempérament suivoit avec tant de scrupule le progrès du Platane, qu’il sembloit croître avec les branches de cet arbre ; tous les jours il l’alloit embrasser ; dans le sommeil il ne songeoit que de lui ; et dessous le contour de ses vertes tapisseries, il ordonnoit de toutes ses affaires. On connut bien que le Platane, piqué d’une ardeur réciproque, étoit ravi de ses caresses, car à tous coups, sans aucune raison apparente, on apercevoit ses feuilles trémousser et comme tressaillir de joie, les rameaux se courber en rond sur sa tête comme pour lui faire une couronne, et descendre si près de son visage,