Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/305

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n’est pas une imagination si nouvelle, quand vos Poètes anciens, à qui la Philosophie avoit découvert les plus cachés secrets de la Nature, parloient d’un Héros dont ils vouloient dire que l’âme étoit allée habiter avec les Dieux, ils s’exprimoient ainsi : Il est monté au pôle. Il est assis sur le pôle, Il a traversé le pôle, parce qu’ils savoient que les pôles étoient les seules entrées par où le Ciel reçoit tout ce qui est sorti de chez lui. Si l’autorité de ces grands hommes ne vous satisfait pleinement, l’expérience de vos Modernes qui ont voyagé vers le nord vous contentera peut-être. Ils ont trouvé que plus ils approchoient de l’Ourse, pendant les six mois de nuit dont on a cru que ce climat étoit tout noir, une grande lumière éclairoit l’horizon (218), qui ne pouvoit partir que du pôle, parce qu’à mesure qu’on s’en approchoit, et qu’on s’éloignoit par conséquent du Soleil, cette lumière devenoit plus grande. Il est donc bien vraisemblable qu’elle procède des rayons du jour et d’un grand monceau d’âmes (219), lesquelles comme vous savez ne sont faites que d’atomes lumineux qui s’en retournent au Ciel par leurs portes accoutumées.

« Il n’est pas difficile après cela de comprendre pourquoi le fer frotté d’aimant, ou l’aimant frotté de fer, se tourne vers le pôle ; car étant un extrait du corps de Pylade et d’Oreste et ayant toujours conservé les inclinations des deux arbres, comme les deux arbres celles des deux amans, ils doivent aspirer de se rejoindre à leur âme ; c’est pourquoi ils se guindent vers le pôle par où ils sentent qu’elle est montée, avec cette retenue pourtant que le fer ne s’y tourne point, s’il n’est frotté d’aimant, ni l’aimant, s’il n’est frotté de fer, à cause que le fer ne veut point abandonner un Monde, privé de son ami l’aimant ; ni l’aimant, privé de son ami le fer ; et qu’ils ne peuvent se résoudre à faire ce voyage l’un sans l’autre. »