Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/310

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effroyable digestion leur rend l’estomac si morfondu, que la seule haleine qu’elles expirent reglace de rechef toute la mer du Pôle. Quand elles sortent sur la terre (car elles vivent dedans l’un et dans l’autre élément) elles ne se rassasient que de ciguë, d’aconit, d’opium et de mandragore.

« On s’étonne en notre Monde d’où procèdent ces frileux vents du nord qui traînent toujours la gelée ; mais si nos compatriotes savoient, comme nous, que les Remores habitent en ce climat, ils connoîtroient, comme nous, qu’ils proviennent du souffle avec lequel elles essayent de repousser la chaleur du Soleil qui les approche.

« Cette eau stigiade (226) de laquelle on empoisonna le grand Alexandre, et dont la froideur pétrifia les entrailles, étoit du pissat d’un de ces animaux. Enfin la Remore contient si éminemment tous les principes de froidure, que, passant par-dessus un vaisseau, le vaisseau se trouve saisi du froid en sorte qu’il en demeure tout engourdi jusqu’à ne pouvoir démarrer de sa place. C’est pour cela que la moitié de ceux qui ont cinglé vers le nord à la découverte du Pôle, n’en sont point revenus, parce que c’est un miracle si les Remores, dont le nombre est si grand dans cette mer, n’arrêtent leurs vaisseaux. Voilà pour ce qui est des animaux Glaçons.

« Mais quant aux Bêtes à feu, elles logent dans terre, sous des montagnes de bitume allumé, comme l’Etna, le Vésuve et le cap Rouge (227). Ces boutons que vous voyez à la gorge de celui-ci, qui procèdent de l’inflammation de son foie, ce sont… »

Nous restâmes après cela sans parler, pour nous rendre attentifs à ce fameux duel.

La Salemandre attaquoit avec beaucoup d’ardeur ; mais la Remore soutenoit impénétrablement. Chaque heurt qu’elles se donnoient, engendroit un coup de tonnerre,