Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/311

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comme il arrive dans les Mondes d’ici autour, où la rencontre d’une nue chaude avec une froide excite le même bruit.

Des yeux de la Salemandre il sortoit à chaque œillade de colère qu’elle dardoit contre son ennemi, une rouge lumière dont l’air paroissoit allumé : en volant, elle suoit de l’huile bouillante, et pissoit de l’eau-forte.

La Remore de son côté grosse, pesante et carrée, montroit un corps tout écaillé de glaçons. Ses larges yeux paroissoient deux assiettes de cristal, dont les regards charroyoient une lumière si morfondante, que je sentois frissonner l’hiver sur chaque membre de mon corps où elle les attachoit. Si je pensois mettre ma main au-devant, ma main en prenoit l’onglée ; l’air même autour d’elle, atteint de sa rigueur, s’épaississoit en neige, la terre durcissoit sous ses pas ; et je pouvois compter les traces de la bête par le nombre des engelures qui m’accueilloient quand je marchois dessus.

Au commencement du combat, la Salemandre à cause de la vigoureuse contention de sa première ardeur, avoit fait suer la Remore ; mais à la longue cette sueur s’étant refroidie, émailla toute la plaine d’un verglas si glissant, que la Salemandre ne pouvoit joindre la Remore sans tomber. Nous connûmes bien le Philosophe et moi, qu’à force de choir et se relever tant de fois, elle s’étoit fatiguée ; car ces éclats de tonnerre, auparavant si effroyables, qu’enfantoit le choc dont elle heurtoit son ennemie, n’étoient plus que le bruit sourd de ces petits coups qui marquent la fin d’une tempête, et ce bruit sourd, amorti peu à peu, dégénéra en un frémissement semblable à celui d’un fer rouge plongé dans de l’eau froide.

Quand la Remore connut que le combat tiroit aux abois, par l’affoiblissement du choc dont elle se sentoit à peine