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Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/96

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doient le Soleil aux Antipodes, et n’osoient se pencher sur le bord, de crainte qu’ils avoient de tomber au Firmament[1].

Il faut que je vous avoue qu’à la vue de tant de belles choses je me sentis chatouillé de ces agréables douleurs, qu’on dit que sent l’embryon à l’infusion de son âme. Le vieux poil me tomba pour faire place à d’autres cheveux plus épais et plus déliés. Je sentis ma jeunesse se rallumer, mon visage devenir vermeil, ma chaleur naturelle se remêler doucement à mon humide radical ; enfin je reculai sur mon âge environ quatorze ans.

J’avois cheminé une demi-lieue à travers une forêt de jasmins et de myrtes, quand j’aperçus couché à l’ombre je ne sais quoi qui remuoit : C’étoit un jeune adolescent, dont la majestueuse beauté me força presque à l’adoration (41). Il se leva pour m’en empêcher : « Et ce n’est pas à moi, s’écria-t-il, c’est à Dieu que tu dois ces humilités ! — Vous voyez une personne, lui répondis-je, consternée de tant de miracles, que je ne sais par lequel débuter mes admirations ; car venant d’un monde que vous prenez sans doute ici pour une Lune, je pensois être abordé dans un autre que ceux de mon pays appellent la Lune aussi ; et voilà que je me trouve en Paradis aux pieds d’un Dieu qui ne veut pas être adoré, et d’un étranger qui parle ma langue. — Hormis la qualité de Dieu, me répliqua-t-il, dont je ne suis que la créature, ce que vous dites est véritable ; cette terre-ci est la Lune que vous voyez de votre globe ; et ce lieu-ci où vous marchez est le Paradis, mais c’est le Paradis terrestre où n’ont jamais entré que six personnes : Adam, Ève, Énoc, Moi qui suis le vieil Hélie, saint Jean l’Évangé-

  1. Toute cette longue description reproduit la plus grande partie de la lettre Le Campagnard ou Description d’une maison de campagne (Voir Lettre XI des Œuvres diverses, 1654).