Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/98

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ne voulut pas qu’une demeure si heureuse restât sans habitans : il permit peu de siècles après qu’Énoc ennuyé de la compagnie des hommes, dont l’innocence se corrompoit, eut envie de les abandonner. Ce saint personnage toutefois ne jugea point de retraite assurée contre l’ambition de ses parens qui s’égorgeoient déjà pour le partage de votre monde, sinon la terre bien-heureuse, dont jadis, Adam son aïeul lui avoit tant parlé. Toutefois comment y aller ? L’échelle de Jacob n’étoit pas encore inventée ! La grâce du Très-Haut y suppléa, car elle fit qu’Énoc s’avisa que le feu du Ciel descendoit sur les holocaustes des Justes et de ceux qui étoient agréables devant la face du Seigneur, selon la parole de sa bouche ; « L’odeur des sacrifices du Juste est montée jusques à moi. » Un jour que cette flamme divine étoit acharnée à consumer une victime qu’il offroit à l’Éternel, de la vapeur qui s’exhaloit il remplit deux grands vases qu’il luta hermétiquement, et se les attacha sous les aisselles. La fumée aussitôt qui tendoit à s’élever droit à Dieu, et qui ne pouvoit que, par miracle pénétrer le métal, poussa les vases en haut, et de la sorte enlevèrent avec eux ce saint homme (42). Quand il fut monté jusques à la Lune, et qu’il eut jeté les yeux sur ce beau jardin, un épanouissement de joie presque surnaturelle lui fit connoître que c’étoit le Paradis terrestre où son grand-père avoit autrefois demeuré. Il délia promptement les vaisseaux qu’il avoit ceints comme des ailes autour de ses épaules, et le fit avec tant de bonheur, qu’à peine étoit-il en l’air quatre toises au-dessus de la Lune, qu’il prit congé de ses nageoires. L’élévation cependant étoit assez grande pour le beaucoup blesser, sans le grand tour de sa robe, où le vent s’engouffra, et l’ardeur du feu de la charité qui le soutint aussi jusqu’à ce qu’il eût mis pied à terre. Pour les deux vases ils montèrent jusqu’à ce que Dieu les