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Page:Cyrano de Bergerac - Les Œuvres libertines, t. 1, éd. Lachèvre, 1921.djvu/12

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seule, leur situation sociale les sépare : Claude Le Petit, fils d’un tailleur, élevé sans mère, se laisse aller aux pires turpitudes ; c’est « l’yvrognet » du Père Garassus, s’attaquant à tout ce qui l’entoure : habitants et monuments de Paris reçoivent ses flèches acérées ; il ne respecte ni Dieu ni Diable. Malgré un assassinat resté impuni et le supplice de son ami Chausson, sodomite avéré, auquel il assiste, Le Petit ose braver la justice en faisant imprimer son Paris Ridicule, d’autres poèmes du même genre et des pièces obscènes, dont une au moins sur la Sainte-Vierge, le tout sous un titre singulièrement audacieux : Le Bordel des Muses ou les Neuf Pucelles Putains, caprices satyriques de Théophile le Jeune ; il est brûlé le 1er septembre 1662, pour crime de lèse-majesté divine et humaine. Le grand seigneur, messire Claude de Chouvigny, baron de Blot l’Église, intime du frère du roi, est de toutes les orgies de la Cour de Blois. Il outrage, dans ses spirituelles chansons, la reine-mère Anne d’Autriche, le cardinal Mazarin, les ennemis de son maître et son maître lui-même, Gaston d’Orléans, travaillant ainsi inconsidérément à disqualifier la royauté. Il clame à tous les vents, pendant la Fronde, son athéisme, ses moqueries de la Bible, du pape, etc., et se vante, pure plaisanterie, d’être sodomite ! Blot et Claude Le Petit, fanfarons du vice, devancent nos anarchistes !

Ces libertins du xviie siècle et leurs successeurs ne sont, en somme, que des déracinés. Complètement dépourvus de bon sens, ils se refusent à voir les réalités, ils croient aux mots et non plus aux faits. Orgueilleux et égoïstes, ils n’entendent subir aucune contrainte et jouir pleinement et sans entraves de tous les plaisirs permis et défendus. L’Univers se résume à leur horizon. D’obligations envers leur pays et envers leurs semblables, ils n’en veulent pas connaître ; ils ont tous les droits et pas de devoirs. Ils méprisent le peuple, c’est-à-dire les déshérités et les humbles. Il n’y a, à leurs yeux, ni passé ni avenir. Après eux, le déluge. Aussi meurent-ils presque tous dans le célibat[1].

  1. Cette petite constatation — indiscutable — a son prix quand on lit les critiques amères des libres-penseurs contre le célibat des prêtres, des moines et des religieuses. La diminution de la natalité en France, avant l’effroyable guerre de 1914-1918, qui menaçait notre pays d’une disparition rapide, tenait au Code civil (partage égal du patrimoine familial, ce qui équivaut à sa destruction), à l’affaiblissement de l’idée religieuse, à la diffusion de la libre-pensée, et aussi aux libres-penseurs dont un grand nombre meurent dans le célibat, ou limitent leur progéniture à un enfant.