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LA REVUE DE PARIS

autrefois tressaillir de malaise beaucoup de jeunes gens : « Bon pour le service ». En passant sous la toise, je sentis à peine ma tête toucher la mesure, mais, après avoir entendu ces trois mots, je crois que je l’aurais poussée en l’air si on m’eût remis dessous, car je croyais que j’avais grandi de plusieurs centimètres.

On me demanda mon nom, qu’un soldat inscrivit sur un registre, puis on me dit d’aller tout de suite chercher mon extrait de naissance et un certificat de bonne vie et mœurs du maire de ma commune. En sortant, Robic me dit :

— Eh bien ! mon petit, je t’avais pas dit que ce serait bientôt fait. Es-tu content, maintenant ?

— Oui, je suis bien content. Viens boire encore un bon demi-quart que je coure vite chercher mes papiers, car je ne veux plus retourner au Kerloch avant d’avoir fini.

Je courus d’abord à Guengat chercher mon extrait de naissance, et ensuite j’allai à Ergué-Gabéric voir mon père et savoir ce qu’il en dirait. Il ne me dit pas grand chose :

— Peut-être, tu fais bien d’aller maintenant : l’année prochaine tu serais toujours obligé d’y aller.

Il vint avec moi chez le maire de la commune qui demeurait tout près. Celui-ci passait alors pour le plus savant de tous les paysans de la commune : il me demanda si j’avais été m’assurer que j’étais bon pour le service. Sur mon affirmation et quand je lui présentai mon extrait de naissance, il alla à son bureau en me disant :

— Je vais alors te donner le consentement de ton père et un certificat de bonne vie et mœurs ; on ne t’a pas demandé ça ?

— Non, on m’a dit seulement de produire mon extrait et un certificat du maire de ma commune.

— Eh bien, c’est moi le maire de ta commune puisque ton père demeure ici, et je sais les papiers qu’il te faut.

Je lui fis observer que j’étais aussi chez un maire.

— Ça ne fait rien, va, avec ces papiers-là, on ne te demandera pas autre chose.

Cela m’arrangeait bien si je pouvais passer ainsi, car j’aurais été embarrassé d’aller demander un certificat à mon maire et patron.

Il était trop tard ce jour-là pour revenir à Quimper. Je