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MÉMOIRES D'UN PAYSAN BAS-BRETON

litanies n’en continuaient pas moins. Quand la revue fut terminée, on nous conduisit dans les casemates froides et humides de Fourvières.

Nous étions éreintés et mourants de faim ; malgré cela, il fallut aller immédiatement chercher nos effets de campement : tentes, bâtons, piquets, demi-couvertures, bidons, marmites, gamelles, pelles, pioches, enfin tout le bagage et tout le mobilier du soldat en campagne. Qu’allions-nous faire de tout ça et comment l’empaqueter, l’attacher sur notre sac avec notre précédent bagage que nous trouvions déjà assez lourd ? Il y avait au régiment et dans presque toutes les compagnies quelques vieux soldats, qui avaient fait campagne en Afrique ou qui avaient déjà servi à Lyon. Ceux-là furent chargés d’enseigner aux autres la manière de s’y prendre pour faire leur sac « à la Castellane » : en Crimée, par la suite, nous vîmes combien cet apprentissage était utile. Il fallait se dépêcher, car on nous avait avertis que l’on repartirait le lendemain matin. Pour où ? On ne nous le disait pas. Mais tout le monde pensait et disait que c’était certainement pour Sébastopol, dont on faisait alors le siège. La guerre, qui avait commencé en Turquie, était, depuis le mois de novembre, portée en Crimée, où se trouve la ville de Sébastopol, qu’on disait alors imprenable. Nous étions contents de partir de Lyon, car on aimait mieux aller se faire tuer à Sébastopol que rester pour souffrir les mille et une misères des soldats de Castellane.

Hélas ! nous fûmes déçus dans notre espoir. Nous partîmes le lendemain matin, il est vrai, mais ce ne fut pas pour Sébastopol, ce fut pour le camp de Sathonay, à quelques kilomètres de Lyon, sur un plateau élevé, entre la Saône et le Rhône. Pour nous guérir des fatigues et des misères que nous subissions depuis deux mois, on nous envoyait dans ce camp nouvellement formé, dans des baraques en planches, ouvertes à tous les vents, à la pluie et à la neige, n’ayant pour coucher que le lit de camp, une mauvaise paillasse et une demi-couverture. Là, nous fûmes transformés en terrassiers, ou, comme disaient les vieux soldats, en forçats. Nous allions travailler sur la route qu’on établissait alors de Lyon au camp et qu’on avait nommée avec raison « la route des soldats ».

Quand nous n’allions pas au travail, on nous envoyait aux