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MÉMOIRES D'UN PAYSAN BAS-BRETON

promener à de certaines heures sur le rempart, escortés par des soldats en armes. Là, nous étions un peu mieux, du moins on se le figurait, puisque nous couchions dans des lits et qu’on n’allait plus piocher sur la route ; mais, en revanche, le service de place, les marches militaires, les alertes de nuit, les grandes manœuvres, les revues et parades du samedi et du dimanche ne nous laissaient guère plus de repos qu’au camp.

Les caporaux et les sous-officiers étaient plus occupés que nous. On leur avait donné leurs théories qu’ils n’avaient pas vues depuis Lorient. Ils étaient obligés, dans les intervalles de manœuvre, d’aller à la théorie pratique ou récitative, où ils attrapaient beaucoup de punitions, car la plupart ne savaient plus rien. Ne trouvant pas d’autre livre, je m’amusais souvent à regarder la théorie de mon caporal, que je savais du reste par cœur depuis mes premiers exercices à Lorient. Je disais à ce pauvre caporal, qui était toujours puni faute de savoir sa théorie: « Si vous voulez, j’irai réciter pour vous. »

Cependant, un jour, vint dans nos chambres un monsieur avec un grand paquet de papiers sous le bras. C’étaient des images de Notre-Dame de Fourvières, qu’il distribuait à tout le monde avec une petite médaille, puis de petites brochures qu’il donnait seulement à ceux qui savaient lire. De celles-ci, il n’eut pas beaucoup à distribuer : quatre-vingt-dix-neuf soldats sur cent étaient alors complètement illettrés. Je tendis vers ces brochures une main empressée et je remerciai le monsieur avec effusion, puis j’allai vite sur mon lit, voir ce qu’il y avait dans ce beau petit livre. C’était tout des cantiques militaires et des prières arrangées spécialement pour les soldats. À la dernière page, je vis deux R. et deux P. Je demandai au caporal ce que voulaient dire ces lettres : il ne le savait pas.

Mais ce que je comprenais et qui me faisait beaucoup de plaisir, c’était le renseignement suivant : Tous les sous-officiers, caporaux et soldats peuvent venir tous les jours, de cinq à huit heures du soir, rue Sainte-Hélène, n° 4 ; on se charge de leur apprendre gratuitement la lecture, l’écriture et la comptabilité.

Enfin, me dis-je, me voilà sauvé. Je vais pouvoir ap-