Page:Déjacque - À bas les chefs !.djvu/10

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bourgeois, ils ne doutent pas que tout soit pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

Mettre les ouvriers au pouvoir ! En vérité, il faut ne plus se souvenir. N’avons-nous pas eu Albert au gouvernement provisoire ? Est-il possible de voir rien de plus crétin ? Qu’a-t-il été, sinon un plastron ? À l’Assemblée constituante ou législative, nous avons eu les délégués lyonnais ; s’il fallait juger des représentés par les représentants, ce serait un triste échantillon de l’intelligence des ouvriers de Lyon. Paris nous a gratifiés de Nadaud, nature épaisse, intelligence de mortier, qui rêvait la transformation de sa truelle en sceptre présidentiel — l’imbécile ! Puis aussi Corbon, le révérend de l’Atelier, et peut-être bien le moins jésuite, car lui, du moins, n’a pas tardé à jeter le masque et à prendre place au milieu et côte à côte des réacteurs.

Tels sur les marches du trône les courtisans sont plus royalistes que le roi, tels sur les degrés de l’autorité officielle ou légale les ouvriers républicains sont plus bourgeois que les bourgeois. Et cela se comprend : l’esclave affranchi et devenu maître exagère toujours les vices du planteur qui l’a éduqué. Il est d’autant plus disposé à abuser du commandement qu’il a été enclin ou forcé à plus de soumission et à plus de bassesse envers ses commandeurs. Un comité dictatorial composé d’ouvriers est certainement ce que l’on pourrait trouver de plus gonflé de suffisance et de nullité et, par conséquent, de plus anti-révolutionnaire. Si l’on veut prendre au sérieux le mot de salut public, c’est d’abord, et en toute occasion, d’évincer les ouvriers de toute autorité gouvernementale et ensuite, et toujours, d’évincer le plus possible de la société l’autorité gouvernementale elle-même. (Mieux vaut au pouvoir des ennemis suspects que des amis douteux.)

L’autorité officielle ou légale, de quelque nom qu’on la décore, est toujours mensongère et malfaisante. Il n’y a de vrai et de bienfaisant que l’autorité naturelle ou anarchique. Qui fut autorité en fait et en droit, en 48 ? Est-ce le gouvernement provisoire, la commission exécutive, Cavaignac ou Bonaparte ? Ni l’un ni l’autre. Car s’ils avaient en main la force brutale, ils n’étaient eux-mêmes que des instruments, les rouages engrenés de la réaction ; ils n’étaient donc pas des moteurs, mais des machines. Toutes les autorités gouvernementales, même