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HARANGUE DE DÉMOSTHÈNE SUR LA COURONNE.

Eschine, dans ce jugement, a sur moi deux grands avantages. Le premier, c’est que nos périls ne sont pas égaux. Je risque bien plus à déchoir de votre bienveillance, que lui à ne pas triompher dans son accusation. Je risque, moi… mais je dois éviter toute parole sinistre[1] en commençant ce discours ; lui, au contraire, n’a rien à perdre s’il perd sa cause. Le second avantage, c’est qu’il est dans la nature de l’homme d’écouter avec plaisir l’accusation et l’injure, et de ne supporter qu’avec peine l’apologie et l’éloge. Ce qui est fait pour plaire, était donc le partage de mon rival ; ce qui déplaît presque généralement, est maintenant le mien. Si, d’un côté, par un sentiment de crainte, je n’ose vous entretenir de mes actions, je paraîtrai n’avoir pu détruire les reproches de mon adversaire, ni établir mes droits à la récompense qu’il voudrait me ravir. De l’autre, si j’entre dans les détails de ma vie publique et privée, je serai forcé de parler souvent de moi : je le ferai du moins avec la plus grande réserve ; et ce que la nature de ma cause m’obligera de dire, il est juste de l’imputer à celui qui a rendu ma justification nécessaire.

Vous conviendrez, je pense. Athéniens, que la cause présente m’est commune avec Ctésiphon, et que je ne dois pas la défendre avec moins d’ardeur que si j’étais accusé moi-même. Il est cruel d’être dépouillé par qui que ce soit, plus cruel encore de

  1. Les Grecs avaient une crainte superstitieuse sur certaines paroles de mauvais augure. Cette superstition régnait principalement dans les sacrifices , où le héraut avait grand soin d'avertir que l'on s'abstînt de toute parole qui pût porter malheur.